Le sentier au départ du camp s'oriente vers le nord. À l'ombre, il se fait rapidement assez raide, nous obligeant à adopter un rythme lent mais régulier. Nous prenons vite de l'altitude et arrivons
dans un large vallon où nous apercevons une vigogne solitaire. Avec sa robe fauve et blanc, son fin cou, l'animal a fière allure. Nous l'observons un bon moment devant nous, profitant de cet instant rare, mais il nous faut
poursuivre l'ascension sur un sentier qui se fait encore plus raide avant de parvenir enfin au col de Santa Rosa à 5060 mètres d'altitude. Voisin du col San Antonio emprunté par le trek habituel de la cordillère Huayhuash, Carlos a préféré passer
par là car la descente est plus aisée à négocier.
Vue depuis le col Santa Rosa
La vue depuis le col est splendide. Face à nous, les sommets enneigés du Trapecio, du Jurau, du Carnicero et du Sarapo. Dans le fond de la vallée à nos pieds, deux lacs de deux verts distincts se nichent au creux d'une moraine. Plus loin, au bout d'une large échancrure
devant nous, un autre lac se laisse deviner : le Sarapococha, l'un des objectifs de cette journée.
La descente est raide et un peu délicate en raison du terrain glissant, mais nous atteignons sans souci la moraine abritant la laguna Juraucocha. Nous y pique-niquons, à l'abri du vent, avant de reprendre
notre chemin en descendant la moraine pour traverser le torrent né de la laguna et d'escalader la moraine sur l'autre rive pour la descendre à son tour : de vraies montagnes russes !
Laguna Juraucocha
Nos pas nous guident maintenant dans la vallée menant vers la laguna Sarapococha. Le sentier suit plus ou moins le torrent et s'élève graduellement. Derrière nous, dans le V formé par deux pans de montagnes, la forme massive du Trapecio se détache.
Nous poursuivons notre chemin, traversant le torrent à gué. Le camp de base de Joe Simpson se trouvait par ici lorsqu'eut lieu l'épisode dramatique sur les pentes du Siula Grande, en juin 1985.
Parti avec son compère Simon Yates à l'assaut de la face ouest de la montagne, jusqu'à lors invaincue, l'anglais Joe Simpson chuta lors de la descente par la face nord, se brisant la jambe droite.
Tandis que les conditions climatiques se dégradaient, son compagnon de cordée le descendit petit à petit mais Simpson se retrouva suspendu dans le vide après avoir glissé d'un surplomb.
Pendant deux heures, dans un froid glacial, Yates le retint, mal assuré dans une pente instable. Sentant ses forces l'abandonner et ignorant si Simpson était toujours vivant, il se résigna à couper la corde.
Simpson chuta de plusieurs dizaines de mètres dans une crevasse, atterrissant sur un pont de neige.
Comprenant que personne ne viendrait le sauver, seul avec sa jambe brisée, Joe Simpson décida de se laisser glisser en rappel jusqu'au fond de la crevasse. Il finit par ressortir du glacier, apercevant les rayons du soleil.
Après trois jours de lutte et ayant perdu un tiers de son poids, Simpson parvint à regagner le camp de base que Yates s'apprêtait à quitter, pensant son ami mort.
Joe Simpson raconta son histoire dans le livre
La mort suspendue (
Touching the void) paru en 1988 et adapté au cinéma par Kevin MacDonald en 1993.
Sarapo
Rapidement, les impressionnants glaciers quasiment verticaux du Sarapo se découvrent. Leur forme particulière évoquant des orgues glaciaires leur a donné le nom de
ice flutes, ce qui est typique des glaciers andins, en zone subtropicale.
Il nous faut gravir une dernière moraine largement découpée par le torrent pour apercevoir les lacs Santa Rosa et Sarapococha dominés par l'impressionnante face du Yerupajá et ses glaciers dégringolant dans ce dernier lac.
Nous redescendons la moraine pour aller au plus près des deux lacs et profiter de ce panorama exceptionnel...
Yerupajá et laguna Sarapococha
Il nous faut rebrousser chemin et encore traverser deux torrents à gué pour rejoindre notre campement installé en haut de la vallée de Callinca à 4260 mètres d'altitude. Fin d'une grande et belle journée de près de huit heures de marche !
Courte journée au programme aujourd'hui. Nous commençons par une grasse matinée relative : lever une demi-heure plus tard que les autres jours.
Nous descendons la
quebrada (vallée d'altitude) Calinca par un sentier bien tracé. La vallée s'élargit progressivement, offrant des alpages où nous croisons de nombreux troupeaux de vaches au milieu des lupins en fleur.
Lupins
Vers les 4000 mètres d'altitude, la vallée se resserre en une courte gorge puis nous cheminons sur un sentier bordé de murets de pierres sèches délimitant des parcelles pour la culture ou l'élevage. Un peu plus bas, une belle cascade
vient alimenter le torrent que nous suivons depuis le début de la matinée. Des gens du coin montent dans la vallée, accompagnés de leurs ânes tandis que des nuages commencent à bourgeonner sur les sommets.
Peu avant midi, après un nouveau poste de contrôle, nous arrivons à Huayllapa, un gros village à un peu plus de 3500 mètres d'altitude, le point bas de notre trek. Notre camp est dressé sur le terrain de football du village, l'un des rares espaces à peu près plat.
Carlos accompagne Nathalie au dispensaire car, depuis plusieurs jours, elle éprouve des difficultés à respirer en montant et en dormant. Le verdict de la doctoresse du village est clair : il faut arrêter de marcher. Donc, soit elle est évacuée
par véhicule vers Huaraz ou Lima (plusieurs heures de piste), soit elle poursuit avec nous mais sur le cheval de secours. Après avoir réfléchi et pesé les avantages et inconvénients, elle choisit la seconde option.